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Le silence qui emprisonne

Qui sommes-nous ? Nous le pensions le savoir ! Nous en avions l’assurance. Nous étions français, républicains et démocrates, respectueux de la laïcité, fruits de l’histoire de notre pays devenu, la France.

Aujourd’hui, après le climat nauséabond du débat sur le projet de loi immigration, nous sommes renvoyés à notre couleur de peau, nos religions réelles ou supposées, nos noms ou prénom. Un doute s’installe.
Retrouvez la tribune co-signée par Kader Arif et parue dans Libération

Nos parents, nos grands-parents, nés pour la plupart dans l’empire colonial français, étaient venus en France pour bâtir le pays en recherche de main d’œuvre peu chère. Certains avaient choisi la France depuis longtemps en combattant pour elle. Tous s’y étaient installés pour vivre libres, même quand ils y étaient accueillis dans des camps.

Ils avaient choisi le silence comme mode d’expression. Il fallait se taire, se fondre sans bruit pour être accepté et donner à ses enfants l’espoir d’une vie meilleure. Toujours en sachant dire merci, quels que soient les aléas et les souffrances. Refuser d’évoquer ses douleurs et ses craintes.

Cette façon d’être, cette acceptation d’une vie ou l’humiliation n’était jamais loin, a pu générer des conflits entre parents et enfants. Il était insupportable de les voir souffrir dans le labeur et le silence. Nous nous taisions à notre tour, respectant leur sacrifice pour notre avenir. Ils nous ont permis d’être ce que nous sommes.

Ce silence d’invisibilité est devenu pour nous un silence qui emprisonne. Nous ne pouvons plus nous taire ! Ni pour nous, ni pour ces futurs français dont notre pays a besoin.

Nous avons assisté à un débat sur l’immigration, plus précisément sur les arabes et les noirs, les choses doivent être dites , sans que soit invité , interrogé, sollicité le moindre représentant de cette « autre France », cet intitulé de la séparation …

Et pourtant ! Depuis des semaines, l’actualité aurait dû permettre à des Français comme nous d’enrichir le débat à travers leur histoire avec autant d’expertise et plus d’authenticité que beaucoup, lus, vus ou entendus. Mais par habitude, les invitations ne sont pas lancées aux invisibles. De parcours différents, d’engagements multiples, croyants ou athées, fiers de notre intégration et riches de nos différences, nous aurions enrichi le débat.

Nous remercions, car c’est important, celles et ceux qui ont pu dire les choses, qui refusent et combattent cette loi, qui défendent la République fraternelle et intégratrice ; non pas comme défenseurs d’un communautarisme que nous avons toujours refusé, mais comme citoyens d’un pays que nous souhaitons en paix avec lui-même.

En 1983, il y a 40 ans, de jeunes Français nés ailleurs ou de parents nés ailleurs, marchaient de la Province sur Paris. Ils criaient leur confiance en la République. Ils disaient qu’ils étaient une chance en non un problème pour leur pays. Ils acceptaient les mêmes devoirs et revendiquaient les mêmes droits.

Ils avaient rompu la chaîne de l’effacement. A quel prix et pour quel prix ?

Depuis, les choses ont un peu avancé : plus de représentants dans le paysage audiovisuel et plus d’élus certainement ; des réussites dans le monde économique, la recherche, la santé et autres domaines académiques, une évidence ; des stars dans le sport et la culture, une certitude. Et toujours des murs à construire, des routes à goudronner, des déchets à enlever, des repas à servir … une vieille habitude.

Toutes ces réussites sont le fruit du travail, c’est le lot de tous ! Mais un travail souvent plus acharné pour s’affirmer durablement et être reconnu plus vite. Plus vite pour dire je suis, je ne suis pas différent, je suis comme vous.
C’est dans le domaine culturel et sportif que la reconnaissance est la plus aboutie, car le talent qui ne peut être nié est un accélérateur du temps. C’est le choix du temps court pour être accepté au plus vite. Dans les autres domaines, c’est un temps long qui nous est impossible et parfois interdit, comme il l’est pour les enfants de modestes.

Une seule main suffirait ainsi à dénombrer les grands dirigeants publics ou privés issus de notre histoire partagée.

Combien de dirigeants de grandes entreprises, mais plus encore combien de directeurs d’administrations centrales, combien d’ambassadeurs, de préfets, d’officiers généraux ou de hauts représentants de la magistrature, combien ?
Combien de ministres de l’Intérieur, de La Défense ou des Affaires étrangères, combien tout au long de l’histoire de la République ? Nous n’osons même pas penser Présidence de la République ou Matignon !

Combien de dirigeants d’exécutif régionaux, départementaux ou de grandes villes ? Nous pourrions évoquer les responsabilités au Parlement, à la tête des partis politiques, des syndicats, des grandes ONG ou associations …
De temps en temps, certains émergent, à qui l’on explique leur chance et la nécessité d’attendre, car les Français ne sont pas prêts à les voir à d’autres responsabilités. Et d’autres, peut être les mêmes, sont choisis pour la « diversité », ou plus prosaïquement pour rapporter des voix.

En 1998, nous y avons cru ! La France était championne du Monde de football. Le pays allait bien, l’espoir était permis.
Une fête nationale sans violence sur les Champs Elysées. Et les héros pouvaient nous ressembler. Depuis, que s’est-il passé ? Des crises multiples secouent la France, l’Europe et le Monde. La prégnance dans ces crises des questions identitaires et existentielles amène à convoquer une pureté des origines qui n’a jamais existé, à faire croire que l’autre, souvent plus pauvre qu’eux, est le responsable de tous leurs maux.

Qui est ce coupable désigné ? L’autre, le différent, celui dont les ascendants ne disaient rien, qui par essence est forcément terroriste ou voyou.

Nous, femmes et hommes de tous les horizons, Français par le goût de l’être, ne sommes dans le déni de rien et ne voulons pas être dans le déni de nous-mêmes. Citoyens, nous contribuons chaque jour aux richesses de notre pays, nous sommes les acteurs d’une République que nous chérissons, nous condamnons toutes les formes de violence, nous défendons l’idée d’une France unie autour du triptyque républicain qui fait sa singularité.

Nous étions les immigrés d’hier et sommes des Français d’aujourd’hui.

Nous ne pouvons accepter d’être condamnés au silence et sommés de parler sur commande, de ne pas être assez Français pour certains et trop pour d’autres. Nous ne pouvons laisser dire que nous sommes trop nombreux à certaines manifestations et pas assez à d’autres.

Notre histoire, car elle fait richesse, devrait être dite et entendue. Elle expliquerait les cheveux crépus lissés, le refus d’enseigner à ses enfants sa langue maternelle, les logements et les emplois refusés, les amours contrariées et les portes fermées. Elle pourrait expliquer la vie dans un ghetto urbain et pourquoi cela n’est plus possible. Elle pourrait démontrer que la violence ne peut être l’avenir de ces quartiers et que mourir dans un bateau pour échapper à la faim n’est un destin pour personne.

Nous connaissons plus que quiconque la tolérance de nos concitoyens. Pas ceux du faux bon sens ou des sondages d’opinion, non ! Ceux qui tendent la main, vous embauchent, vous aident à vous loger, viennent à vos spectacles, écoutent votre musique, adorent votre cuisine, applaudissent vos victoires et vous consolent dans la défaite, vous remercient avec émotion quand vous les soignez, vous ouvrent la porte comme gendre ou belle -fille, acceptent de vous aimer pour partager la vie et certains peuvent même voter pour vous quand vous sollicitez leurs suffrages…

A cette France généreuse et tolérante elle aussi souvent silencieuse, nous disons : refusons ensemble ces dérives qui finissent en heures sombres. Demain, à toutes les élections, unissons nos voix pour affirmer notre choix d’une France de l’espoir pour ses enfants et les enfants du monde.
Acteurs dans une démocratie, nos bulletins de vote comptent. Nous refusons le communautarisme identitaire, mais nous ferons valoir nos vies dans ce pays qui est aussi le nôtre, par nos choix citoyens. Sans bruit, mais avec force, pour affirmer notre histoire et pour une certaine idée de la France.

Premiers signataires : Salah Amokrane responsable associatif ; Kader Arif retraité et ancien ministre ; Aminata Diakité présidente de l’association Projet pour tous ; Larbi Benboudaoud champion du monde de judo, médaillé olympique et ancien directeur des équipes de France de judo ; Karim Boumedjane maire-adjoint du Blanc-Mesnil ; Hakim Becheur gastro-entérologue, chef de service à l’hôpital Bichat ; Hakim Khellaf magistrat financier ; Nasser Nechar directeur financier et dirigeant de fédération sportive ; Mustapha et Hakim Amokrane musiciens ; Karima Ouldache présidente de RSE Consulting et ambassadrice pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 de Rosny-sous-Bois.

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